TRANSMISSION

« L’espoir est volonté »

Mon pays de naissance, coloré par le sable et le sel de la presqu’île guérandaise, rayonnera en moi jusqu’à mon dernier souffle. Ma conscience artistique, construite par le vent océanique, vieillit au souvenir de cet amour de la Bretagne. L’art a pénétré mon âme bien avant ma conscience, cette incroyable réalité a dirigé toute ma vie.


Pour aider à la compréhension de mon existence de créateur artistique, où rien n’est ce qui semble être, je vais vous donner mon opinion sur Picasso. Je pourrais choisir des dizaines d’autres artistes pour arriver aux mêmes conclusions, mais Picasso reste le plus emblématique des artistes peintres des temps modernes. Le génie de Pablo fut son impuissance à peindre ce qu’il voulait réellement créer. Je m’explique : une oreille absolue est la faculté d’identifier instantanément toute note entendue, la main absolue identifie et applique instantanément le trait ou la couleur réaliste sur n’importe quel support. Pablo rêvait de créer un trait poétique et recherchait, sans y parvenir, à le réaliser. Il dessinait instantanément la représentation exacte de ce que ses yeux discernaient, mais pas ce qu’il se représentait affectivement. Son cerveau semblait asservi à un « fantôme » qui lui interdisait d’exprimer ses émotions les plus profondes. À l’image des traits graphiques de Modigliani ou des perspectives de Cézanne, l’ambition de Pablo était d’inventer une écriture de ses émotions ou une perspective intime. Paradoxalement, le génie de Picasso fut sa main absolue au service d’une impuissance créatrice ; il est mort, pourtant, sans jamais atteindre son ambition graphique. Picasso pensait pouvoir se libérer de sa main tyrannique en dessinant comme un primitif puis à la fin de sa vie, comme un enfant. En réalité, Picasso a créé une nouvelle manière de peindre en devenant un chef d’orchestre pictural. Pour survivre à sa main absolue, Pablo orchestrait dans une symphonie poétique de couleurs et de formes les éléments créés par d’autres. Il est inutile, pour illustrer l’importance du paradoxe du sentiment d’impuissance dans la mutation créative d’un artiste, que je compare cette analyse sur Picasso avec le processus de mon « gommisme » (voir paragraphe 6).

Je préfère oublier la problématique du dessin, et aborder maintenant la couleur en affirmant que le noir est une couleur et non une absence de couleur. Pendant des dizaines d’années, j’ai suivi un faux raisonnement, car des académiciens ont affirmé que le noir est une pénurie de couleur, et leur proposition m’a paru juste. Alors, j’ai banni le noir de ma palette durant plus d’un demi-siècle. Mais, depuis la découverte de la matière sombre dans l’Univers, par des scientifiques, j’utilise le noir comme représentation du cosmos dans certaines parties de mes fonds de supports picturaux. Pour mémoire, cette matière cosmique appelée « noire » est invisible et représente 90 % de l’Univers ; les 10 % de l’espace qui sont visibles le sont grâce à la lumière qui sert, par ailleurs, comme unité de mesure. En me situant dans cette respiration incommensurable de l’espace, je peux projeter mes nébuleuses affectives dans la lumière cosmique avant de matérialiser mes émotions. Ma peinture est l’exemple néo-iconique d’une expression artistique contrariée, où la colère s’apaise avec le temps. Factuellement, sans la couleur noire, il me manquait un moyen unique d’intensifier la profondeur de mes représentations picturales. Ma palette de couleurs saturées était, certes, lumineuse, mais en contradiction avec mes prétentions artistiques. (Consultez mes œuvres de 2015 et 2017). Je suis fier d’avoir réussi à simplifier ma peinture sans entacher l’immortalité poétique de l’art. Le noir est bien une couleur, et non son absence.


Depuis ma naissance, l’incrédulité de la majorité de mon entourage m’a obligé à me remettre constamment en question. La grande majorité de ce voisinage ne croit ni en ma vérité ni en mon art. Ce comportement humainement immoral m’a obligé, pendant plus de soixante ans, à exister en mode de survie pour arriver à construire mon œuvre. Ces relations nocives démontrent que la prédation est dominante dans l’âme des hommes. Je combats de toutes mes forces cette nocivité humaine pour éviter de devenir misanthrope. Je gagne ce combat moral en inventant le concept de la « Bégrité ». La Bégrité est une version de l’humanité qui refuse l’anthropophagie mentale et la médiocrité. Ce concept explique mon choix de commencer cet ouvrage par mon enfantement intellectuel bien avant la naissance de ma mère. Je refuse d’être cet enfant prodige détruit sur l’autel de la médiocrité familiale. 

Une anecdote minimise un récit en cachant des vérités compliquées à comprendre ou à accepter, parfois elle finit par bouleverser vos croyances. À Noël 2015, ma fille Véronique me propose de m’installer pour quelques mois au cœur du village d’Aubeterre-sur-Dronne, situé dans les Charentes à limite du Périgord. Mon ami Denis Dupré est présent dans cette maison pour m’aider à écrire, j’ouvre devant lui une enveloppe renfermant mon acte de naissance. À ma grande surprise, cet acte est une fable administrative. D’après Jean-Pierre Vincent, le premier adjoint au maire d’Escoublac La Baule, je suis né le premier mai mille neuf cent quarante-sept, à vingt-quatre heures trente minutes (cela ne s’invente pas) à La Baule-Escoublac ne deviendra commune de La Baule qu’en 1961. Cet acte est dressé le deux du mois de mai, sur la déclaration de madame Guillaume née Poitevin, Léonie. (Ma grand-mère se remariera seulement au début des années cinquante, après le décès de son mari Trichet). Suite à cette révélation, je n’éprouverai aucune surprise en découvrant que mon père biologique s’appelle « inconnu » et non Bessalem. (Consultez le chapitre 2). Cet incroyable faux authentique m’explique aujourd’hui l’origine de mon choix à créer mes œuvres artistiques sous le nom « Mathius ».


Au crépuscule de ma vie je me suis guéri de l’obscurité familiale et d’un entourage pervers. J’espère que cet exemple créera de nouvelles vocations artistiques sans donner raison aux médiocres. Pour apaiser ma colère, j’adopte l’enfant blessé en moi. 

Avant de mourir, je veux finir mon œuvre.
J’ai lutté toute ma vie contre l’interdit d’exister, aujourd’hui j’ai fini d’expliquer.
La création artistique est une des manifestations d’une raison métaphysique.

L’espoir est volonté. 

En vérité, par ce livre j’ai vengé ma grand-mère et ma mère.
Punaauia, le 21 septembre 2017.


Mathius